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L’art perdu de la correspondance épistolaire

Ecrire une lettre manuscrite en 2016

Qui écrit encore des lettres au XXIème siècle ? Personne. À l’heure où tout le monde est connecté en permanence, à l’heure des SMS, des messageries instantanées et des snaps, il faut être sacrément rétrograde – ou masochiste – pour recourir de son plein gré à la correspondance écrite.

Pourtant, il y a quelques jours, j’ai écrit une lettre.

Ecrire une lettre manuscrite en 2016

Une lettre envoyée telle une bouteille à la mer…

Écrire une lettre comporte une part d’incertitude. Écrire une lettre, c’est s’en remettre humblement au destin, c’est accepter de lâcher prise et s’obliger à faire confiance, à la fois au messager mais également au destinataire.

On s’en remet aveuglément à La Poste et à ses performances aléatoires. Mais surtout on fait confiance à son destinataire, espérant qu’il accueillera la précieuse missive avec bienveillance et surtout, qu’il y répondra.

Écrire une lettre, c’est attendre. C’est vivre dans l’expectative de l’hypothétique réponse. L’attente est une agonie lente et douloureuse. On compte les jours. On calcule. J’ai posté ma lettre jeudi 18. Je l’ai affranchie au tarif rapide. Cette lettre, j’ai mis 4 ans à l’imaginer, 2 mois à la rédiger, 1h30 à la recopier. Mais maintenant qu’elle est partie, je n’ai qu’une hâte : qu’elle lui parvienne.

À peine rentrée du bureau de poste, je me suis mise à attendre. J’ai imaginé la levée du courrier, vers 16h ce soir-là, j’ai visualisé l’enveloppe, mon enveloppe, bientôt son enveloppe, transférée de fourgons en camions, cheminant jusqu’à sa destination. Ce soir-là, je n’en pouvais déjà plus d’attendre. Je suis rentrée chez moi et ai commencé à compter les heures, les jours, les semaines.

À l’heure des notifications, des accusés de réception et des indicateurs de présence, l’incertitude est insoutenable. Aucun indicateur ne me dira jamais si mon courrier a bien été reçu. Encore moins s’il a été lu. Seule l’improbable réponse pourrait me délivrer de cette angoisse.

Je m’en remets donc au destin. Et aux mains des postiers.

Je meuble mes insomnies en retraçant mentalement le chemin parcouru par ma missive ; je compte les mains entre lesquelles elle passe, comme d’autres les moutons. J’ai pris soin de rédiger une lettre manuscrite, au prix d’un effort intense, mon poignet ayant oublié ce temps lointain où il communiquait sans clavier. C’est dans cet effort que l’exercice a révélé toute la noblesse de cet art perdu. Transcendant la douleur, mon corps a fini par éprouver un plaisir presque charnel dans cette rencontre entre le papier et la plume. Au final, tout mon être s’en est convaincu : il n’est pas d’autre manière d’écrire une lettre.

Lors de l’écriture, les mots me sont venus tout seuls. Ce n’est pas une question d’inspiration mais d’entraînement, ou plutôt, de répétition. D’innombrables brouillons bredouillants ont en effet précédé cette missive. Vive les copier-coller que Word peut offrir, car oui : j’ai réservé ma plume à l’épreuve finale.

Les jours passent ; j’attends toujours. J’occupe ce temps en imaginant des scénarios à moitié vides, à moitié pleins, suivant l’humeur du moment et la place qu’elle laisse à l’espoir.

Je déroule dans mon esprit le film de ce que pourrait être la scène de la Réception. Je ferme les yeux et, l’espace d’un instant, je suis la lettre. Telle une actrice muette à qui l’on tend finalement le micro, je prends la parole : je vais enfin révéler tous mes secrets. Je glisse entre ses mains, je désire tant son contact. L’enveloppe cède et je vois apparaître son beau visage, qui me scrute avec curiosité.

Je rêve alors de ses traits animés par la surprise, qui sait, peut-être même le plaisir ?
Ou peut-être resteront-ils impassibles, insensibles aux mots si chèrement délivrés…

Il y a quelques jours, j’ai écrit une lettre. Et depuis, j’attends.

Et vous, quelle est la dernière lettre que vous ayez écrite ?

26 Comments

  1. Très bel article, je me remémore du coup le plaisir qu’était celui de recevoir une lettre, et regrette que mes enfants ne le connaissent (peut-êtr) jamais!
    Bon courage pour l’attente 😉

    • Merci ! Moi j’espère que j’arriverai à initier mon fils à cet « art perdu » (car j’espère que de temps en temps il fera l’effort d’écrire à sa – vieille – maman…) Bah, on peut rêver.

  2. J’avoue que je reste une éternelle adepte des lettres… J’ai gardé toutes celles que j’ai reçues depuis mes 13 ans et je m’y replonge de temps en temps avec beaucoup de bonheur. Ce sont des petits bouts de vie que j’aurais oubliés… Et j’avoue que je continue d’écrire. A chaque vacances, j’inonde mes amis de courrier. Et quand je suis loin de mon amoureux, on s’envoie des belles lettres d’amour…. (au moins quand je serai bien vieille et que j’aurais perdu tous mes sms, je pourrai relire ses mots doux !)

    • Moi aussi je garde toutes les lettres que je reçois… depuis celles qu’on s’envoyait entre copines au primaire et au collège jusqu’à celles (très très rares) reçues ces dernières années… Merci pour ton témoignage, je me sens moins seule 🙂

  3. j’ai écrit une lettre il n’y a pas si longtemps, la réponse à été faite par téléphone et j’en reste totalement frustrée, j’y avais écrit des choses qui me faisaient mal, je ne désirais pas ce genre de réponse lapidaire
    bisous et courage

    • La personne à qui j’ai envoyé ma lettre n’a pas mon numéro de téléphone et j’ai bien pris soin de ne pas le joindre à ma missive, justement pour éviter ça !

  4. Aydan says

    Très bel article! C’est bien vrai, cela se perd tellement tout cela. Les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas tous les sentiments si bien décrits ici…ça donne envie de s’y remettre 😉 Merci pour ce joli partage.

  5. ISABELLE says

    Hello, bel article !
    je commence depuis peu dans la correspondance épistolaire. Et j’adore ca…. Comme tu dis, l’attente, l’art d’écrire à la main… Cette patience à avoir sans savoir si reçu ou pas, si répondu ou pas…. Oh c’est dur mais c’est si bien de revenir un peu à nos sources.
    Il y a un groupe sur facebook, c’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai des correspondantes Inconnues… Avec qui nous échangeons, sur la région nos passions … Une commune est le bujo.
    le groupe se nomme « BUJO EPISTOLAIRE » si cela vous dit !
    Bravo pour l’article, toutes les émotions ont bien été transcrits.

  6. Amusant… Je tombe sur cet article de vous qui date de près d’un an. Alors même que pour la énième fois je cherche le moyen de nouer correspondance ? Car le répondant manque trop souvent, me semble-t-il ? Ma dernière lettre date d’il y a quelques mois seulement. Mais je crois n’avoir jamais trouvé dans toutes mes correspondances la réelle exaltation que j’en attendais. Car irrémédiablement, au bout d’un temps variable, mais en général assez court (deux à trois lettres disons), le destinataire semble se lasser et l’intensité du lien diminue jusqu’à devenir trop faible pour résister. La brisure arrive et c’est chaque fois un petit accroc à l’âme. J’ai une vision romantique de la correspondance qui me reste de mes lectures de correspondances littéraires (ah ! les lettres de Rilke, Sand, ou Cézanne encor !). Quoiqu’il en soit, j’ai apprécié votre description émotionnelle de ce temps de latence à la fois terriblement excitant et angoissant qui marque les échanges épistolaires et leur donne en partie leur irremplaçable valeur. Le temps ! Le temps dont nous semblons tellement ignorer l’irrémédiable nature reprend toute sa valeur dans cet exercice, nous parlant de la vie, nous parlant de la mort. Notre condition humaine ! Bien à vous L.H.

    • Bonjour Ludovic, merci pour votre commentaire qui me permet de faire le point un an après sur la correspondance dont je parlais dans cet article. Eh bien, la première chose à dire est que, comme je l’espérais si ardemment, la correspondance a effectivement vu le jour suite à la première lettre dont je parlais dans mon article. Et, après de nombreux échanges de lettres, cette correspondance perdure encore aujourd’hui. J’espère que ce sera le cas encore longtemps… mais le lien est à la fois extrêmement fort et fragile à la fois. Je suis sûre que vous voyez de quoi je parle.
      Vous employez le mot « exaltation » et je peux vous dire que la correspondance que j’ai nouée me procure ce sentiment-là… et même au-delà. Initier cet échange a été sans nul doute la chose la plus stimulante et la plus bouleversante que j’ai faite depuis de nombreuses années.
      J’en profite donc pour dire à tous ceux qui hésitent à se lancer : allez-y ! Sautez le pas !
      Quant à moi, je ne souhaite pas nouer de nouvelles correspondances dans l’immédiat. Je veux pouvoir me consacrer, me dévouer entièrement à celle qui m’est si précieuse. Bien à vous !

    • Votre message est sans doute trop ancien pour que ma réponse ne soit lue par vous. Je voulais juste exprimer que j’ai aimé vos mots, vos attentes. J’aurais aimé… Mais j’aurais sans doute moi aussi été la source d’un petit accroc.
      Bien à vous.

  7. Matis says

    Félicitations, Claire, si vous avez réussi à maintenir le contact !

    Pour moi, beaucoup d’échecs mais quelques réussites qui les compensent largement !

    Amitiés.

    • Eh oui, plus de deux ans après le début, ma correspondance perdure 🙂
      Je me rends compte de ma chance.

  8. Theodora says

    C’est un merveilleux article et un bel éloge à l’ecriture et au pouvoir des mots.
    Et qu’est ce qui motive encore votre correspondance ?
    Est-ce une correspondance amoureuse ?
    Quels âges avez-vous ?
    Au plaisir de vous lire…

    • J’imagine qu’au bout d’un certain temps l’essouflement peut menacer la correspondance. Ce n’est pas du tout le cas ici. C’est une correspondance pleine d’amour, sans être une correspondance amoureuse. Ce qui me motive à continuer ? Cet amour réciproque, justement, et s’il fallait d’autres raisons (mais en faut-il vraiment ?) : cette correspondance m’inspire, me nourrit et me fait prendre du recul sur les choses de la vie…

  9. Christelle says

    C’est un très bel article et je suis presque jalouse de ce lien que vous avez créé avec votre correspondant.
    J’ai repris la correspondance en décembre 2017 et seulement avec des femmes. Finalement, peu de ces correspondances sont enrichissantes et durent encore aujourd’hui et mes correspondances de jeunesse n’ont pas su reprendre … Quelle déception !
    Mais j’ai tout de même quelques correspondantes qui me donnent encore l’envie d’écrire et avec qui l’attente est toujours trop longue (alors que notre cadence est plutôt bonne ! )
    Je suis curieuse de savoir si votre romantique correspondance est toujours d’actualité !
    Longue vie à elle (je l’espère !).

    • Ma correspondance (qui n’est pas une correspondance romantique) est toujours d’actualité. Et elle est tout à fait enviable ; je suis d’ailleurs très consciente de la chance que j’ai ! Nous nous écrivons une fois par mois, avec toujours la même envie réciproque. Vous parlez de « bonne cadence » avec vos correspondantes. À quel rythme vous écrivez-vous ?

  10. Bonjour,
    Je découvre votre article et les commentaires qui ne font que confirmer mon envie de trouver un partenaire de correspondance épistolaire.
    Prendre le temps, parfois même l’arracher à son quotidien pour s’évader, imaginer, partager des émotions et des pensées… Puis attendre une réponse, avoir la surprise de trouver une enveloppe écrite à la main à notre nom, se régaler de l’ouverture et de la lecture… Lire, relire et répondre, réinventer une nouvelle passerelle de complicité.

    J’avoue qu’une correspondance romantique me plairait beaucoup et embellirait ma vie bien remplie et pourtant un peu solitaire, voilà pourquoi je chercherais plutôt un correspondant qu’une correspondante. Mais je ne sais pas comment procéder et en attendant, je me promène sur le web.
    Merci à vous de me redonner l’espoir qu’un jour je trouverai. Claire, je vous souhaite de poursuivre longtemps encore cette correspondance si précieuse.

    • Bonjour, je vous remercie pour vos gentils mots et vous souhaite également de trouver la personne qui… vous correspondra 😉

  11. Jâm says

    La dernière lettre que j’ai écrite, était pour LUI. J’ai pensé mes mots, cherché le bon terme, choisi mon papier avec soin, mis tout mon coeur. Et puis j’ai fait confiance à la vie pour qu’elle LUI arrive. Sans aucune certitude mais c’était doux dans mon coeur.

  12. Rafaëlle says

    Bonsoir,

    Je suis heureuse de voir ce post encore actif car je suis en quête de réponse…

    En cette période de confinement, je suis prise d une envie de renouer avec l écrit au travers d une correspondance épistolaire mais avec un inconnu. Un peu comme.une envie de s’évader avec une personne dont on aurait tout à découvrir.
    J ai trouvé le correspondant, curieux de cette démarche. Nous ne nous sommes jamais vu, entendu, nous ne connaissons ni l ‘age ni le prénom de l’un de l’autre. Et je crois qu’il (elle?) n’habite même pas en France.

    Je suis assez contente d’avoir trouvé une personne qui se prend au jeu et je me réjouis d’avance de lui écrire…

    Petit problème, d’un point de vue ethique et moral, faire fonctionner la Poste sachant la situation sanitaire, me freine. Et bien que nous pourrions correspondre par mail…le charme n’est absolument pas le même…
    Si vous avez des conseils sur le cadre de ce genre de correspondance, je suis preneuse…
    Bien à vous,
    Rafaëlle

    • Bonjour Raphaëlle, pardon pour cette réponse tardive ! J’espère que vous n’avez pas attendu pour écrire à votre inconnu…
      Je comprends votre dilemme moral, mais pour ma part je n’ai pas hésité longtemps : j’ai continué ma correspondance pendant ce confinement, ce qui en tout et pour tout a représenté 3 envois de ma part et 2 de la sienne, soit une goutte d’eau au niveau postier (je précise que j’ai par contre stoppé tout envoi de colis ou courrier non-essentiel).
      Le maintien de cette correspondance pendant le confinement était absolument crucial pour moi et m’a aidé à traverser cette épreuve (et c’est le cas aussi pour la personne à qui j’ai écrit).

  13. Mahlya de Saint-Ange says

    Ecrivaine = 30 romans édités, cherche néanmoins, malgré ses 3 h d écriture par jour ou de documentation ou de correction, un correspondant en français loin de la météo, de la politique, du virus, mais proche de réflexions profondes, d’échanges à grandes ouvertures, sans jugement carré dans la direction de la philo-vie. Je réside en Suisse mais je suis latine. stange-gabelles@sunrise.ch

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